King Kong Théorie
- Kassandra & Léa
- 27 sept. 2020
- 18 min de lecture
Dernière mise à jour : 28 sept. 2020
King Kong Théorie

Informations pratiques
Auteur : Virginie Despentes
Année de publication : 2006
Maison d’édition : Grasset
Prix : 15.20€ (6.10€ dans la collection Livre de Poche)
Le 28 Septembre c’est la journée mondiale du droit à l’avortement. A l’occasion de cette journée qui vient nous rappeler le combat mené pour ce droit fondamental qui est celui de disposer de son corps on a eu envie de vous présenter cet ouvrage profondément féministe qui vient traiter d’autres sujets importants qui touche la femme (mais aussi l’homme !).
Avant ça, on vous fait un petit point sur l’Histoire de la lutte pour le droit à l’avortement.
L’Histoire de la lutte pour le droit à l’avortement débute lors de la parution d’un manifeste le 5 avril 1971 dans le journal “ Le nouvel Observateur ” . Le Manifeste des 343, une pétition dans laquelle 343 femmes connues et inconnues attestent s’être faites avorter et s’exposent ainsi à des poursuites judiciaires puisqu’il s’agissait d’un acte considéré comme criminel en France à cette époque. Le but de ce coup d’éclat médiatique était de dénoncer l’hypocrisie qui régnait en France puisque de nombreuses femmes devaient se rendre à l’étranger pour pouvoir se faire avorter ou faire réaliser cela par des “ faiseuses d’anges ” dans la plus grande illégalité et le plus grand danger. Ces pratiques se savaient mais tout le monde cherchait à se cacher ou fermait les yeux puisque cela était considéré comme un crime. Rebaptisé “ Les 343 salopes ” par le célèbre dessinateur Cabu en Une de Charlie Hebdo le 12 avril 1971, cette caricature choc sera fièrement revendiqué par un grand nombre des femmes signataires.
L’année d’après, le célèbre procès de Bobigny va faire trembler la France en ramenant sur le devant de la scène le problème de cette loi contre l’avortement. Les faits si vous ne les connaissaient pas : une adolescente de 16 ans, Marie-Claire Chevalier, se retrouve sur le banc des accusés avec sa mère et deux femmes suspectées d’avoir apporté leur aide lors de l’opération clandestine d’avortement sur la jeune femme à la suite d’un viol perpétré par un camarade de classe. L’avocate vous la connaissez peut-être (si ce n’est pas le cas on vous invite à aller vous renseigner un peu sur elle, sa vie mais surtout ses combats), il s’agit de la très célèbre avocate et militante féministe Gisèle Halimi. Lors de ce procès la jeune adolescente se voit soutenue et défendue par le mouvement féministe “ choisir ” créé 10 ans plus tôt dans le but de dépénaliser l’avortement. Finalement Marie-Claire Chevalier est mise hors de cause et sa mère, elle, est condamnée à un amende de 500 francs avec sursis. A la suite du manifeste et du procès, un nouveau manifeste est publié en 73 celui des 331 médecins qui s’engagent dans le combat en avouant avoir pratiqué des opérations d’avortement alors que cet acte était bel et bien encore interdit.
Finalement, c’est le 17 janvier 1975 que Simone Veil obtient gain de cause à la tribune de l’Assemblée Nationale après de longues heures à défendre ce projet de loi, essuyant insultes et attaques verbales.
Malgré l’incroyable avancée que cela a été, il n’est pas rare que même encore aujourd’hui certaines femmes rencontrent des difficultés lors d’une procédure d’IVG (un mauvais accompagnement, une culpabilisation du personnel soignant etc…)
En 2014, Catherine Coutelle, député socialiste et présidente de la Délégation de l’Assemblée nationale aux droits des femmes est à l’origine d’un mouvement visant à réaffirmer le droit à l’avortement auprès de l’Assemblée Nationale. Elle y arrive, la loi est bien réaffirmée le 26 novembre et permet de réengager le débat et pousse l’Espagne à se raviser alors qu’elle s’apprêtait à modifier cette loi pour la durcir et limiter le droit à l’avortement à certains cas. Mais il n’y a pas qu’en Espagne que cela aura un impact. En effet, le 17 décembre de la même année est voté au Luxembourg la loi en faveur de l’IVG et 4 ans plus tard c’est l'Irlande qui franchira ce cap.
Malheureusement si ces informations sont très encourageantes ce n’est pas un combat gagné d’avance. De 1956 à 1993 en Pologne l’avortement est légal et gratuit mais n’est maintenant plus autorisé que dans trois cas : viol, malformation du fœtus, danger pour la santé de la mère ou de l’enfant. Au Brésil, la loi s’est considérablement durci fin août. Une femme ne pouvait avorter qu’à la suite d’un viol, désormais elle devra raconter dans les moindres détails son calvaire aux autorités et si elle ne peut pas prouver ses accusations elle pourra faire l’objet de poursuites judiciaires.
Comme pour tout, nous pouvons nous rendre finalement compte qu’il y a du bon et du mauvais. La possibilité pour les femmes de disposer librement de leur corps n’est pas encore une évidence et n’est pas acquise partout. Il y a encore beaucoup de travail pour que toutes les femmes puissent avoir accès aux mêmes chances et à la liberté de décision sur leur personne. Alors, ayons une pensée pour toutes les personnes qui se sont battues pour ce que nous avons aujourd'hui, ce qui nous semble presque naturel mais qui ne l'était pas à l'époque, ce qui est le fruit d'une longue lutte. Pour toutes ces personnes, pour nous et pour celles à venir, poursuivons ce combat.
Extrait
(Pas de résumé cette fois-ci car il n'y a pas de récit et que rien ne sera aussi parlant qu'un extrait. Il s'agit du texte d'introduction de l'œuvre)
“
BAD LIEUTENANTES
J'écris de chez les moches, pour les moches, les vieilles, les camionneuses, les frigides, les mal baisées, les imbaisables, les hystériques, les tarées, toutes les exclues du grand marché à la bonne meuf. Et je commence par là pour que les choses soient claires : je ne m'excuse de rien, je ne viens pas me plaindre. Je n'échangerais ma place contre aucune autre, parce qu'être Virginie Despentes me semble être une affaire plus intéressante à mener que n'importe quelle autre affaire.
Je trouve ça formidable qu'il y ait aussi des femmes qui aiment séduire, qui sachent séduire, d'autres se faire épouser, des qui sentent le sexe et d'autres le goûter des enfants qui sortent de l'école. Formidable qu'il y en ait de très douces, d'autres épanouies dans leur féminité, qu'il y en ait de jeunes, très belles, d'autres coquettes et rayonnantes. Franchement, je suis bien contente pour toutes celles à qui les choses telles qu'elles sont conviennent. C'est dit sans la moindre ironie. Il se trouve simplement que je ne fais pas partie de celles-là. Bien sûr que je n'écrirais pas ce que j'écris, si j'étais belle, belle à changer l'attitude de tous les hommes que je croise. C'est en tant que prolotte de la féminité que je parle, que j'ai parlé hier et que je recommence aujourd'hui. Quand j'étais au RMI, je ne ressentais aucune honte d'être exclue, juste de la colère. C'est la même en tant que femme : je ne ressens pas la moindre honte de ne pas être une super bonne meuf. En revanche, je suis verte de rage qu'en tant que fille qui intéresse peu les hommes, on cherche sans cesse à me faire savoir que je ne devrais même pas être là. On a toujours existé. Même s'il n'était pas question de nous dans les romans d'hommes, qui n'imaginent que des femmes avec qui ils voudraient coucher. On a toujours existé, on n'a jamais parlé. Même aujourd'hui que les femmes publient beaucoup de romans, on rencontre rarement de personnages féminins au physique ingrat ou médiocres, inaptes à aimer les hommes ou à s'en faire aimer. Au contraire, les héroïnes contemporaines aiment les hommes, les rencontrent facilement, couchent avec eux en deux chapitres, elles jouissent en quatre lignes et elles aiment toutes le sexe. La figure de la looseuse de la féminité m'est plus que sympathique, elle m'est essentielle. Exactement comme la figure du looser social, économique ou politique. Je préfère ceux qui n'y arrivent pas pour la bonne et simple raison que je n'y arrive pas très bien, moi-même. Et que dans l'ensemble l'humour et l'inventivité se situent plutôt de notre côté. Quand on n'a pas ce qu'il faut pour se la péter, on est souvent plus créatifs. Je suis plutôt King Kong que Kate Moss comme fille. Je suis ce genre de femme qu'on n'épouse pas, avec qui on ne fait pas d'enfant, je parle de ma place de femme toujours trop tout ce qu'elle est, trop agressive, trop bruyante, trop grosse, trop brutale, trop hirsute, toujours trop virile, me dit-on. Ce sont pourtant mes qualités viriles qui font de moi autre chose qu'un cas social parmi les autres. Tout ce que j'aime de ma vie, tout ce qui m'a sauvée, je le dois à ma virilité. C'est donc ici en tant que femme inapte à attirer l'attention masculine, à satisfaire le désir masculin, et à me satisfaire d'une place à l'ombre que j'écris. C'est d'ici que j'écris, en tant que femme non séduisante, mais ambitieuse, attirée par la ville plutôt que par l'intérieur, toujours excitée par les expériences et incapable de me satisfaire du récit qu'on m'en fera. Je m'en tape de mettre la gaule à des hommes qui ne me font pas rêver. Il ne m'est jamais paru flagrant que les filles séduisantes s'éclataient tant que ça. Je me suis toujours sentie moche, je m'en accommode d'autant mieux que ça m'a sauvée d'une vie de merde à me coltiner des mecs gentils qui ne m'auraient jamais emmenée plus loin que la ligne bleue des Vosges. Je suis contente de moi, comme ça, plus désirante que désirable. J'écris donc d'ici, de chez les invendues, les tordues, celles qui ont le crâne rasé, celles qui ne savent pas s'habiller, celles qui ont peur de puer, celles qui ne savent pas s'y prendre, celles à qui les hommes ne font pas de cadeau, celles qui baiseraient avec n’importe qui voulant bien d’elles, les grosses putes, les petites salopes, les femmes à chatte toujours sèche, celles qui ont de gros bides, celles qui voudraient être des hommes, celles qui se prennent pour des hommes, celles qui rêvent de faire hardeuses, celles qui n’en ont rien à foutre des mecs mais que leurs copines intéressent, celles qui ont un gros cul, celles qui ont les poils drus et bien noirs et qui ne vont pas se faire épiler, les femmes brutales, bruyantes, celles qui cassent tout sur leur passage, celles qui n’aiment pas les parfumeries, celles qui se mettent du rouge trop rouge, celles qui sont trop mal foutues pour pouvoir se saper comme des chaudasses mais qui en crèvent d’envie, celles qui veulent porter des fringues d’hommes et la barbe dans la rue, celles qui veulent tout montrer, celles qui sont pudiques par complexe, celles qui ne savent pas dire non, celles qu’on enferme pour les mater, celles qui font peur, celles qui font pitié, celles qui ne font pas envie, celles qui ont la peau flasque, des rides plein la face, celles qui rêvent de se faire lifter, liposucer, péter le nez pour le refaire mais qui n'ont pas d'argent, celles qui ne ressemblent plus à rien, celles qui ne comptent que sur elles-mêmes pour se protéger, celles qui ne savent pas être rassurantes, celles qui s'en foutent de leurs enfants, celles qui aiment boire jusqu'à se vautrer par terre dans les bars, celles qui ne savent pas se tenir ; aussi bien et dans la foulée que pour les hommes qui n'ont pas envie d'être protecteurs, ceux qui voudraient l'être mais ne savent pas s'y prendre, ceux qui ne savent pas se battre, ceux qui chialent volontiers, ceux qui ne sont pas ambitieux, ni compétitifs, ni bien membrés, ni agressifs, ceux qui sont craintifs, timides, vulnérables, ceux qui préféreraient s'occuper de la maison plutôt que d'aller travailler, ceux qui sont délicats, chauves, trop pauvres pour plaire, ceux qui ont envie de se faire mettre, ceux qui ne veulent pas qu'on compte sur eux, ceux qui ont peur tout seuls le soir.
Parce que l'idéal de la femme blanche, séduisante mais pas pute, bien mariée mais pas effacée, travaillant mais sans trop réussir, pour ne pas écraser son homme, mince mais pas névrosée par la nourriture, restant indéfiniment jeune sans se faire défigurer par les chirurgiens de l'esthétique, maman épanouie mais pas accaparée par les couches et les devoirs d'école, bonne maîtresse de maison mais pas bonniche traditionnelle, cultivée mais moins qu'un homme, cette femme blanche heureuse qu'on nous brandit tout le temps sous le nez, celle à laquelle on devrait faire l'effort de ressembler, à part qu'elle a l'air de beaucoup s'emmerder pour pas grand-chose, de toutes façons je ne l'ai jamais croisée, nulle part. Je crois bien qu'elle n'existe pas.”
Avis
Ce livre est assez particulier car il mélange à la fois le genre de l’essai et le genre autobiographique. En effet, Virginie Despentes vient aborder des sujets à travers son expérience, son ressenti et ses observations personnelles, mais aussi des sources diverses telles que des études, des chiffres,... par exemple. Habituellement je n’aime pas le genre de l’essai qui m’ennuie très vite et a très souvent tendance à me perdre avec tout un tas de théories et de formulations compliquées. Mais ici ça n’a pas été le cas. J’ai lu en deux trajets de train ce court ouvrage qui a su m'interpeller et me faire réfléchir.
Avec Virginie Despentes, pas de bla bla inutiles et de belles formulations vides de sens qui ne servent qu’à faire joli et vous embrouiller le cerveau. Son écriture est très intéressante et très riche (faites confiance aux étudiantes en lettres qui ont disséqué certaines passages !) même si vous ne vous en rendrez pas forcément compte à première vue mais mais elle est aussi brute, piquante et frappante. Virginie Despentes n’a pas sa langue dans sa poche !
La femme et le mythe de la femme parfaite, idéale, irréelle, dicté par la société
Tout d’abord, l’introduction est percutante. L’auteure vient déclarer une bonne fois pour toute ce que nous savons tous depuis bien longtemps : la femme parfaite n’existe pas. Par femme parfaite elle veut parler de cette image de la femme idéale que la société n’a eu de cesse de concevoir pièce par pièce pour finalement complexer les femmes parce qu’elle ne lui ressemble pas. Despentes vient dire STOP à l’image de cette femme que l’on continue de faire exister dans les esprits mais qui n’a jamais existé que là, dans notre imaginaire. Alors, à travers une longue énumération de types de femmes variées désignant le lectorat auquel elle s’adresse, et permettant en réalité une identification de la part de toute femme ayant se livre en sa possession, elle débute son ouvrage en créant d’une certaine manière, un groupe, une unification.
A l’image d’un combat de boxe, c’est coup après coup que l’auteure vient détruire les stéréotypes, les idées reçues, les idéalisations à propos de la femme, et bordel ça fait du bien ! Une femme n’a pas à être ceci ou cela, elle n’a pas à faire ceci ou cela ou bien encore à dire ceci mais pas cela… La femme n’a pas à se cantonner à l’image que la société a créé pour elle.
Libérons-nous de ces fichues chaînes qui nous sont imposées. Parce que non, elles ne sont pas apparues comme ça et elles ne perdurent pas de génération en génération toutes seules. Ces dernières années les choses semblent bouger et on en prend de plus en plus conscience : un des piliers de notre société qui participe à ce fléau c’est l’éducation. En effet, il n’est pas si rare encore d’entendre (surtout dans la bouche de nos parents ou grand-parents) des choses qui peuvent nous choquer. Non, une fille n’a pas à jouer à la poupée bien sagement et calmement dans son coin pendant qu’un garçon est jugé vif et énergique si il court partout en criant. C’est un exemple volontairement cliché, mais l’idée est là. Si nos grand-mères et les leurs encore avant ont accepté ce qui nous paraît aujourd’hui aberrant, le patriarcat dans sa globalité, ce n’est pas parce qu’elles étaient trop bêtes pour se rebeller ou parce que ça leur plaisait comme situation, mais parce qu’on leur a appris dès leur plus jeune âge que c’était normal, que c’était ça être une femme. La société a associé des objets, des couleurs ou bien encore des comportements et des rôles à chaque sexe ce qui est totalement stupide. En changeant ça dans l’éducation des plus jeunes il y a un espoir de changer profondément tout ce qui ne va toujours pas car on aurait bien tort de croire qu’on arrive au bout de nos peines.
Virginie Despentes va notamment critiquer qu’on associe systématiquement et irrémédiablement la femme au rôle d’épouse et de mère. C’est terrible. La femme n’a pas besoin d’un homme tout comme l’inverse est vrai ! L’envie d’être avec l’autre n’est pas un besoin tout comme la maternité n’est pas profondément ancrée dans l’ADN des femmes. Au risque de déplaire à certains, la maternité est un choix, une envie qui dépend de chaque individu et non de son sexe. Info : tout le monde n’aime pas les enfants ou ne désire pas en avoir et s’en porte très bien. Ca marche pour tout !
La culture du viol
Qu’est-ce-que c’est ? Si vous ne le savez pas, ce n’est pas grave mais on vous invite à aller lire cet article parce qu’il est intéressant dans un premier temps, et dans un second temps car il vous sera utile pour mieux comprendre la suite.
Dans la première partie de l’ouvrage Virginie Despentes raconte un moment marquant de son adolescence : son viol. C’est de ce point de départ que naît toute une réflexion sur la culture du viol. Il y a en effet tout d’abord le fait de mettre en garde les femmes contre ce risque et cette incitation à la prudence constamment répétée. Mais pourquoi on apprendrait pas plutôt aux hommes à ne pas le faire ? Pourquoi est-ce à la femme de faire attention à un acte dont elle sera la victime ? On a l’impression que si la femme ne fait pas attention, si elle n’y pense pas et qu’une partie d’elle ne vit pas dans la peur de ce qui pourrait arriver et que cela lui arrive alors elle est peut-être un peu coupable. Que l’on soit bien clair : c’est FAUX ! Pourtant, la culpabilisation de la femme est un point important de la culture du viol. Il y a principalement cette culpabilisation atroce que vivent les femmes qui ont subies un viol par la police mais aussi potentiellement l’entourage… Il s’agit de la remise en cause de leurs paroles ou en tout cas la mise en cause de sa responsabilité dans l’affaire : Où était-elle ? Était-elle seule ? Quelle heure était-il ? Comment était-elle habillée, maquillée ? A-t-elle dit “non” ? L’a-t-elle dit bien clairement ? S’est-elle débattue ? N’a-t-elle rien dit ou fait qui ait pu laisser porter à confusion ? C’est intolérable. Rien, absolument RIEN, ni mini-jupe, ni maquillage, ni regard, ni quoi que ce soit, ne peut justifier une agression sexuelle. Un “non” est un “non” peu importe le contexte. Et les conséquences de cette culpabilisation sont dans un premier temps que les femmes n’osent pas forcément en parler, mais aussi une honte tenace.
Virginie Despentes pointe d’ailleurs le fait que les femmes ayant vécu ce traumatisme évitent souvent de prononcer LE mot et passent par toute une panoplie de synonymes et périphrases. Et ce ne sont pas les seules en réalité. Les hommes coupables de viol formulent eux aussi de différentes manières ce qu’ils ont fait tout en se cherchant souvent des excuses pour se déculpabiliser. Eh oui, on entend jamais ces mecs en parler parce qu’on ne peut pas dire “J’ai violé unetelle/untel”. Dire ‘J’ai fait du vélo” est normal, acceptable, mais dire “J’ai violé quelqu’un” ça ne se dit pas. Et j’ai envie de dire une chose à ce propos : si ça ne se dit pas c’est parce que ça ne se fait pas !
Enfin, l’auteure vient parler de quelque chose qu’elle a personnellement ressenti : le reproche de s’en être sortie. Un viol est un acte traumatisant pour la victime et beaucoup en sorte détruites. Despentes a voulu se relever, ne pas être de celles-là. Elle a lu des femmes qui ont su l’inspirer. Elle n’a pas vécue dans la peur. Elle a recommencé à faire du stop (c’est dans ces conditions qu’elle a rencontré ses violeurs), elle a repris sa vie sexuelle en main… Et ça, on lui a fait sentir que c’était pas vraiment normal. En quoi réussir à se relever d’une épreuve aussi difficile devrait-être une honte ?
En 2017, en France, 250 000 victimes de viols ou de tentatives de viol ont été recensées. Il faut garder à l’esprit que beaucoup ne sont pas comptées dans ce chiffre car elles ne se sont pas manifestées. C’est juste énormissime. Ces femmes et ces hommes qui subissent ces agressions, que cela soit d’inconnus ou de proches ( car nous n’avons pas abordé ce sujet mais on a tendance à oublier que c’est souvent des connaissances voire des conjoint(e)s qui sont les agresseurs), ne méritent pas en plus de subir ce que la société leur inflige. On espère vraiment que les mentalités changeront et que dans un avenir que l’on espère pas si lointain, les victimes (car malheureusement il y en aura sûrement toujours) n’auront plus à être confrontées à cette culture du viol.
La pornographie, un tabou
Despentes traite de beaucoup de choses dans cette deuxième partie mais celle sur laquelle on va se concentrer c’est le traitement infligé à la femme qui tourne dans l’industrie de la pornographie. Comme le dit l’auteure, une femme qui fait du porno semble perdre le droit d’être considérée comme une femme respectable car elle elle n’a pas suivi le modèle qu’on impose à la femme depuis des siècles : celui de la bonne mère et de la bonne épouse. Cette femme qui joue un rôle, qui fait son travail, parce qu’il est jugé indigne d’une certaine manière, va perdre le droit d’être respecté en tant qu’être humain. Une fois le travail fini elle rentre chez elles, elles ont peut-être un.e conjoint.e et des enfants, elles font les mêmes choses que vous et moi. Seulement, nous, la société ne nous a pas étiqueté le mot “salope” sur le front à cause de notre travail, on ne nous regarde pas de travers, on entend pas de messes basses sur notre chemin… Voldemort est pas un gars très sympathique, ce n’est pas pour autant que Ralph Fiennes, l’acteur qui l’incarne au cinéma, est un assassin sournois et cruel. Pourquoi ne fait-on pas cette distinction également pour ces femmes ? C’est quoi le problème ? Selon Despentes, ce serait en partie le fait qu’elles participent à l’épanouissement du désir masculin ou parce que d’une certaine manière elles gagnent leur vie en l’exploitant tout en montrant l’existence du désir féminin qui a été passé sous silence pendant si longtemps et qu’il reste tabou.
La prostitution, de l’autre côté du trottoir
Puisque nous sommes dans le thème de la sexualité et du désir féminin en tant que tabou, restons-y avec le sujet de la prostitution. 3ème partie de son ouvrage, il est une fois encore mis en relation avec l’expérience de l’auteure. Au départ, j’ai eu un peu de mal avec cette partie mais l'argumentation de Virginie Despentes a su m’ouvrir à une autre vérité que celle que j’avais établie et celle que la société nous inculque. En effet, la prostitution c’est un acte qui est diabolisé. On nous montre souvent la prostitution sordide, celle qui est parfois forcée soit par des conditions de vie difficiles soit par une exploitation humaine. Bien que cela soit assez difficile à concevoir, Virginie Despentes explique que dans l’image collective la femme qui se prostitue est à plaindre, qu’elle le fait parce qu’elle y est contrainte… mais qu’en réalité ce n’est pas forcément toujours le cas. En effet, dans son cas par exemple, ce fut une manière de disposer de son corps librement, de se le réapproprier, de se reconstruire d’une certaine manière suite au viol qu’elle a vécu tout en se faisant de l’argent. Virginie Despentes délivre donc un témoignage qui vient élargir la vision très figée que l’on a de la prostitution afin d’apporter un nouveau point de vue.
Elle explique également que la société véhicule aussi une image dégradante concernant les hommes qui utilisent ce genre de services sexuels. Elle met en avant qu’une fois encore la société cherche à culpabiliser et à contrôler le désir de l’homme ainsi qu’à enfermer la femme et l’homme dans la cage du mariage, dans la cellule familiale parce que l’image de la jolie petite famille doit être un objectif auquel tout un chacun doit aspirer pour être bien vu. La prostitution met en danger cet idéal soit disant à atteindre.
Pour finir, on va aborder un dernier point dans cette chronique. Toutes ces choses révoltantes on les entretient plus ou moins et le pire c’est que comme si c’était pas assez difficile comme ça, on se tire dans les pattes. Certaines femmes s’attaquent à celles qui essayent de changer les choses par exemple. On se juge les uns les autres et on manque parfois de solidarité. C’est triste. Pas seulement entre femmes, non, parce que même si on en parle moins les hommes aussi subissent les diktats de masculinité et de la virilité. Ils souffrent également de cette image de la masculinité, de l’homme viril, de l’homme le “vrai”. On a envie de terminer cette chronique sur une citation de l’œuvre qui est profondément juste et qui nous tient à cœur parce qu’est un combat commun qui concerne tout le monde : “Le féminisme est une aventure collective, pour les femmes, pour les hommes, et pour les autres”
Si cette chronique vous a intéressée on vous invite bien évidemment à lire King Kong Théorie mais aussi à jeter un œil à ces chaînes Youtube.
Et tout le monde s’en fout : Il s’agit d’une web-série créée par Fabrice de Boni et Axel Lattuada en 2017 et publiée sur Youtube. Elle se compose de très courtes vidéos (~4-5 minutes) où un homme, un hacker vivant isolé, partage sur internet ses réflexions sur des sujets de société et de l’actualité intéressants, sérieux, qui nous touchent tous de manière documentée mais drôle afin de faire réagir.
En voici quelques unes en lien avec ce que nous avons abordé dans la chronique et qui pourraient vous intéresser :
Les femmes : https://www.youtube.com/watch?v=EDDxAIhHt08
Le féminisme : https://www.youtube.com/watch?v=qmCd2HF_zZM
La culture du viol : https://www.youtube.com/watch?v=pPH2GEB7-X0
La salope : https://www.youtube.com/watch?v=mriGX5DutlM
Entre mecs : Une série de vidéos présentées par Benjamin Névert de la chaîne anciennement “ Vous êtes vraiment sympa ” devenu " Ben Névert" dont la première vidéo de la catégorie “Entre Mecs” est parue le 5 juillet 2019. Le concept : Benjamin, ses deux amis Toto et Omar reçoivent pour chaque vidéo un invité masculin avec lequel ils vont discuter d’un sujet entre 10 et 20 min. Le but de ces vidéos est tout simplement de laisser la parole aux hommes, les laisser s’exprimer sur des sujets sensibles parfois afin de déconstruire la masculinité bâtie par la société et qui pèse sur les hommes et affecte toute la société. Ces vidéos sont tantôt touchantes, tantôt drôles mais toujours passionnantes et intéressantes.
Les couilles sur la table : le premier podcast est publié le 1er décembre 2017. L’émission est présenté par Victoire Tuaillon qui invite à chaque nouvelle vidéo un.e chercheur.euse, un.e professeur.e, un.e auteur.e, un.e philosophe afin de parler, d’interroger la masculinité, la virilité ou les hommes de manière plus générale ainsi que les conséquences que cela peut avoir sur les individus d’une société.
Histoire de Mecs : La première vidéo du podcast est sortie le 27 février 2018 sous le nom à l’origine de The Boys Club (il y a eu un changement depuis peu), animé par Mymy (vice rédactrice en chef de Madmoizelle) et Fab (fondateur du magazine, rédacteur jusqu’en 2016 puis directeur). Il s’agit du podcast du magazine féminin (avec orientation féministe) Madmoizelle qui parle de masculinité. Là encore, à chaque vidéo l’invité de Mymy et Fab vient pour discuter et questionner avec eux son rapport à la masculinité, au monde, en tant qu’homme dans une société à forte tendance patriarcale.
Références utilisées en plus de l'œuvre :
Par Sinard Alisonne le 05/04/2017 dans un article pour le site internet France Culture. https://www.franceculture.fr/histoire/avant-la-loi-veil-le-coup-declat-des-343-salopes
Par Catherine Petillon le 26/11/2017 dans un article pour le site internet France Culture. https://www.franceculture.fr/societe/ivg-40-ans-apres-la-loi-veil-un-droit-encore-defendre
Par Esther, le 23/02/2012, pour les statistiques du nombre de viols en 2017 : https://www.madmoizelle.com/statistiques-viol-france-891007
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